Le jeu de société, une œuvre d’art qui fait (la) société

Michel Lalet co-papa du classique Abalone et vétéran des créateurs de jeux de société milite pour redorer le blason de ce noble art. Car, affirme celui qui se définit lui-même comme “dilettante” professionnel, c’est un art.
Un auteur choisira ce medium – le jeu – pour faire percevoir, éveiller les consciences, comme tout artiste. Et davantage qu’avec tout autre art – peinture, danse, musique… – le jeu lui permettra d’atteindre cet objectif.

Pour goûter à ce point de vue rafraîchissant sur ce qui est devenu un “marché” tenté parfois par un cynisme mercantile affligeant, voici, en vrac, un florilège très – trop – succinct de remarques de ce ludosophe que L’En-Jeux, ludothèque à vocation ludo-sociale, faut-il le rappeler, soumet à votre sagacité. De quoi nourrir vos réflexions sur ce ludique sujet.

Je me suis permis d’ajouter un peu de gras sur quelques passages qui me paraissaient particulièrement pertinents.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien d’où sont extraits ces échantillon choisis sur le site de TriTrac : partie 1 et partie 2.

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“Le jeu, c’est d’abord du temps partagé et l’envie de partager ce temps avec d’autres.”
“Un jeu c’est entre autres choses le respect des règles, n’est-ce pas ? C’est un des moyens pour les jeunes enfants d’admettre l’existence de règles et de s’y conformer.”
“Mais le jeu n’est pas qu’apprentissage des contraintes. Et ne doit pas l’être. Jouer est, m’a-t-il toujours semblé, une chose naturelle et évidente. Et je ne vise pas que les enfants. Tous, à tout âge, femmes ou hommes, sont capables et désireux de « jouer », c’est-à-dire de lâcher un peu la bride de leurs comportements sociaux sages et compassés. Et en tout cas, jouer c’est faire la démarche d’abandonner les notions établies de hiérarchie sociale ou de hiérarchie d’âge (jouer avec ses enfants n’est pas anodin. L’acte dit clairement à l’enfant que l’on se place à égalité avec lui). Sur ce terrain, la multitude des jeux offerts permet d’adapter ses attentes à ses compétences. La clef du plaisir est de trouver sa place entre lâcher-prise et contrôle.”
“Car jouer est en réalité une activité dangereuse et subversive. Elle révèle le joueur. Elle le révèle tel qu’en lui même mais aussi dans son rapport aux autres.”

“Le jeu doit offrir des entrées royales et des portes de sortie honorables !”
“À la sortie, chacun doit se sentir plus léger, plus heureux, plus intelligent qu’il ne le croyait. Plus responsable ou plus philosophe en acceptant d’avoir perdu ou seulement de n’avoir pas gagné…”
“C’est en réalité une difficulté d’accepter le destin auquel le jeu nous assigne.”

A propos de “ce Trivial Pursuit et la légion de ses clones qui se sont répandus par centaines de millions d’exemplaires” : “La question idiote fondée sur une méta culture nocive n’est pas bienveillante. Elle est même tout l’inverse ! Elle est toujours délétère pour quelqu’un ! Elle rend sottement fier le crétin qui sait et sottement triste l’honnête homme qui ne sait pas…”

“A la différence de prétendus non-joueurs de jeux de société qui peuvent s’adonner à des jeux où ils trouvent dans le rituel source d’une convivialité apaisée…”

“Ce qu’ils attendent et qui les réjouit avant tout, c’est de sentir que leur esprit est touché d’une manière nouvelle, que leur mécanique cérébrale se met en branle dans des directions jusque là inconnues d’eux…

A propos de jeux prétendument coopératifs :
“L’égalitarisme n’est rien d’autre qu’un apprentissage du consentement à la dictature.”
“D’ailleurs dans les productions récentes, j’écarte de ce jugement plutôt sévère le jeu Les Poilus qui n’est pas tombé dans cet angélisme bébête et qui est un jeu coopératif digne de ce nom. Le plus grand nombre des autres n’en valent pas la peine !”


“(…) j’aimerais que les auteurs de jeux progressent dans cette idée : la création de jeu est un Art à part entière ! Il faut que cette idée grandisse et que toutes ses conséquences en soient tirées. Dans le même temps, il faut que tous réalisent à quel point l’acte de jouer est un fait sociologique puissant. Et que c’est l’axe par lequel les évolutions attendues pourraient survenir. Les villes, qui ouvrent des ludothèques ou qui soutiennent financièrement des maisons des jeux, semblent les seules à l’avoir compris.

“Ce qui fait œuvre, c’est d’abord le geste d’un individu, et c’est surtout l’appartenance d’un travail donné à une catégorie donnée, à un instant donné de l’Histoire, sur la base d’une large reconnaissance du phénomène.
 
J’ai consacré de longs chapitres dans ce livre Auteur de Jeux à cette question. Elle est même centrale. Ce qui me permet d’affirmer que la création de jeux est un geste ressortissant de la création artistique tient essentiellement en trois facteurs : qui l’a fait, où et quand cela a-t-il été fait, avec quelle finalité cela a-t-il été fait.”

“(…) la création de jeux procède exactement des mêmes fondamentaux que les autres arts : un individu et son style, un lieu, une époque et une culture. “

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Michel Lalet, “dilettante professionnel” (ben, si) et entre autres auteur du jeu Abalone

“(…) un jeu n’est pas une photographie de la vraie vie. Il n’en est qu’une représentation partielle. Il en prélève un mince fragment et il se propose d’hypnotiser le joueur avec une répétition de ce fragment. Quant à ce phénomène d’hypnose, il ne naît pas seulement de la répétition, mais de cette sorte d’émerveillement qu’a le joueur en découvrant dans les séquences du jeu auquel il joue des choses profondes et parfois oubliées qu’il portait en lui.

“Un jeu dans lequel le frisson dont vous parlez peut apparaître est un jeu où l’auteur aura à la fois fait appel à une notion profonde et pour laquelle il aura trouvé une mise en forme (un mécanisme) simple, efficace, élégante et qui n’est là que pour servir l’intérêt de l’idée.”

Le jeu de société, une œuvre d’art qui fait (la) société